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Je commencerai par contexte géographique: l’actuel Mexique fait partie du territoire appelé Mésoamérique avant la conquête espagnol. Celui-ci s’étend du nord du Mexique au Costa Rica, en incluant le Belize, le Guatemala, l’ouest du Honduras, le Salvador et le versant pacifique du Nicaragua. Y vivaient différents peuples partageant certains traits culturels, dont les mayas, au sud du Mexique et au Guatemala, et les peuples nahuas, qui partageaient la langue nahuatl dans le centre du Mexique. Ce ne sont que deux exemples parmi bien d’autres, et aujourd’hui encore sont parlées ces deux langues préhispaniques, ainsi qu’environ 66 autres dans tout le pays…

Dans notre collectivité, nous nous intéressons aux cultures nahuas anciennes et à leurs formes syncrétiques existantes actuellement. Nous avons une pratique artistique qui se base sur des concepts et des techniques préhispaniques. Nous ne sommes pas nous-mêmes indigènes du Mexique, mais entretenons des relations avec des artisans indigènes ou qui travaillent avec certaines de ces techniques. Ce qui est important pour nous est de faire un travail de recherche aussi profond que possible, de ne pas rester en surface et de développer une méthodologie anthropologique « par le faire ». Par exemple, pour comprendre comment étaient produites les pièces de céramiques, nous pratiquons nous-mêmes le travail de la terre selon ce qui est arrivé jusqu’à nous de la technique ancienne. Nous sommes à l’écoute du fait que ces anciennes techniques sont reprisentatives d’une certaines vision du monde et nous tenons en compte son sens rituel. Dans le cas de la ceramique, les gestes utilisés sont inspirés par celui du tissage car ils rappellent que le monde est formé comme le tissu, entrelacé. 

Nous souhaitons donc, par notre travail de recherche et notre production artistique, redonner de la valeur à un certain héritage culturel encore vivant au Mexique. Vivant dans la ville de Mexico, nous nous focalisons sur les formes et les techniques locales, actuelles et anciennes. 

Ce travail de compréhension et de sauvegarde de techniques locales anciennes nous paraît fondamental dans un monde qui est régit par ce que nous nommons le « dieu du capital ». En effet, le consumérisme et la globalisation se manifestent dans tous les aspects de nos vies et remplacent petit a petit toute autre forme de relation au monde. Les techniques et sagesses anciennes locales se vident parfois de leur sens au service de ce nouveau système et les plus aimées d’entre-elles (je pense au yoga, aux arts martiaux, à la méditation, etc.) se répandent et prennent la place des autres. 

Le processus de colonisation au Mexique, doublé de la globalisation, tend à remplacer les techniques locales et le sens profond qu’elles donnent au monde, par des pratiques européennes ou « à la mode ». Dans le travail de la céramique par exemple, les techniques enseignées dans les écoles sont originaires de Chine ou d’Europe, et les techniques locales, qualifiées d’artisanales, sont dévalorisées ou méconnues. 

C’est donc dans une démarche à la fois décoloniale et anticapitaliste, nous proposons de nous relationnel au monde selon la méthodologie rituelle. Il est également important pour nous de permettre tout type de syncrétisme et de multiculturalisme, en nous rappelant que les peuples nahuas « embrasaient la culture de l’autre ». 

La langue et le sens du monde qu’elle contient nous paraît un outils fondamental. C’est pour cela qu’il nous tient à coeur d’explorer des concepts originaux au travers de leurs termes nahuatl. Par exemple, nous avons choisi comme nom de notre collectif « ixiptlah » qui est le terme qu’utilisaient les peuples nahuas pour désigner le résultat plastique ou visuel de leurs rituels ( sculptures, peintures, lieux, instruments:..). Ixiptlah vient de “Ixi” qui signifie “visage” ou “œil” et de “xipehua” qui se traduit comme “développer”, et fait référence à l’acte de se mettre les yeux ou le visage de l’autre. Dans notre collectivité, nous l’interprétons comme “se mettre à la place de l’autre” et relationons le sens de « ixiptlah »  avec la manière qu’avaient les peuples méso-américains de partager les rituels ou l’espace créatif. Notre collectivité pense que le « rituel » et le concept de « ixiptlah » sont des méthodes qui peuvent s’insérer sur la scène de l’art contemporain pour leur ressemblance avec les pratiques de performance et de happening entre autre, mais avec une base théorique locale qui a des racines méso-américaine, donnant un lieu aux pratiques anciennes et actuelles des peuples indigènes à l’intérieur de ce qu’on appelle « art contemporain ». Dans le même temps, elles nous permettent de questionner le terme d’artisanat qui a été imposé par les conquistadors à l’œuvre plastique des peuples indigènes, que nous pourrions considéré aujourd’hui comme « artistique ». 

Ixiptlah est une collectivité qui a débuté grâce à des sessions d’improvisation sonore et visuelle, dans lesquelles étaient utilisées toutes sortes d’objets trouvés sur place. Le contexte est toujours pris en compte et nous considérons le processus d’élaboration comme étant la pièce elle même. Nous nous basons sur le concept du rituel, qui part d’une action guidée par un motif spécifique. Pour sa réalisation, un espace est sélectionné et préparé avec une série d’objets et d’actions qui impliquent diverses disciplines (dance, musique, plastique). Ces rituels n’ont pas de spectateurs, mais des participants, lesquels sont en relation avec l’espace. À la fin de l’action est obtenu un objet ou un espace ritualisé (figure d’une déité / temple), lequel se trouve alors sacralisé.